Surréalisme danois

Edouard Amoiel
27 août 2023
Le restaurant Alchimiste du chef Rasmus Munk à Copenhague est bien plus qu’une simple mise en scène culinaire. Il s’agit d’une expérience gastronomique hors du commun où nos sens sont en effervescence.
Il aura fallu attendre la fin de la crise sanitaire pour pouvoir enfin fouler le seuil du restaurant Alchimiste. Situé aux abords du centre-ville de la capitale danoise, l’antre gourmand du chef Rasmus Munk défie la chronique depuis son ouverture. Ce cuisinier d’à peine 30 ans, qui à première vue semble réservé, redéfinit les codes de la haute gastronomie à coup de créations culinaires hors du commun et d’artifices conceptuels extraordinaires. L’alchimiste n’est certes pas un restaurant comme les autres mais plutôt une expérience sensorielle qui choque, bouleverse, alerte et plonge les convives au plus profond de leurs retranchements personnels. Immersion dans le monde déluré, quasi à la frontière du réel, d’un génie des fourneaux qui continue de croire en ses convictions, d’écouter son cœur et de réaliser ses rêves.

Coffre-fort
Ça y est, nous y sommes enfin ! Il aura fallu être patient avant de se retrouver devant l’imposante porte en bronze du restaurant l’Alchimiste. Quoi de mieux que de prolonger ce moment tant attendu pour intensifier le plaisir. L’instant est solennel. Les interrogations fusent. Une légère appréhension s’accentue. A quoi s’attendre ? Tellement de choses ont été dites sur le trublion tatoué de la cuisine danoise. Nous prenons le temps d’apprécier et d’observer avant de consommer et déguster. Nous sommes dans une zone industrielle non loin du centre de la capital danoise. Le restaurant semble se trouver à l’intérieur d’un hangar. Il est temps…Nous appuyons sur un bouton. Pas de réponse. Nous attendons… la porte s’ouvre comme s’il s’agissait d’un coffre-fort géant. Nous pénétrons dans l’abysse gastronomique…
Nous avions rencontré le chef la veille de ce périple culinaire. Totalement décontracté, le chef manie l’interview avec aisance. Rasmus Munk a grandi dans un environnement rural danois qui le prédestinait à une carrière de mécanicien automobile plutôt que derrière les fourneaux. « De toute façon, mes parents étaient de très mauvais cuisiniers » lâche-t-il d’emblée en plaisantant. Difficile à croire lorsque l’on déguste son omelette atteignant une telle perfection ; une interprétation ultra aérienne, en osmose avec une omelette norvégienne ou même un soufflé.
Messages humanistes
Son meilleur ami est apprenti cuisinier et le pousse à rentrer dans les rangs. « C’est la cuisine qui m’a mis dans le droit chemin et m’a surtout évité de faire de grosses bêtises pendant mon adolescence. J’avais besoin de m’échapper de mon quotidien. Pour la première fois de ma vie, j’ai respecté sérieusement une discipline ». Le déclic est immédiat, presque fusionnel. Le jeune Rasmus aime le côté disciplinaire du métier et en a besoin pour s’épanouir. Diplôme en poche, il quitte pour la première fois les terres danoises pour les rives de la Tamise en plein cœur de Londres. C’est le début de l’aventure culinaire…
Sans en connaître les raisons, Rasmus Munk sait qu’il doit contre toute attente se diriger vers une gastronomie de haut vol. Pour la première fois, il apprend réellement les bases du métier dans un environnement professionnel pourtant hostile à son approche. Le changement dérange, il s’en moque et poursuit sa route. « J’ai rapidement su que je voulais faire quelque chose que personne n’avait fait auparavant. Je ne sais pas si j’ai révolutionné le monde de la cuisine mais en tout cas je fais de mon mieux pour le faire avancer en faisant passer des messages importants à mes yeux. Cela fait longtemps que j’ai arrêté d’écouter ce que les gens pensent de moi ». Au cours du dîner, tous les sujets sont abordés. Politique, écologie, sociologie… toujours avec un regard critique sur la société et ses pratiques sans pour autant émettre un jugement moralisateur et dogmatique sur les sujets abordés.

Production et assemblage
Avant de créer l’Alchimiste, il ouvre son premier restaurant à Copenhague en 2015. Autour d’un comptoir d’une quinzaine de places, la première version de l’Alchimiste est une sorte de laboratoire d’essai gastronomique avant de faire le grand saut. Tout en imaginant un lieu symbolisant ses rêves les plus fous, il construit son univers gourmand en toute intimité. A l’image du lieu et de ses ambitions, les projections financières d’un tel projet sont pharaoniques. Rasmus ouvre quelques mois avant l’arrivée de la crise sanitaire. Malgré les confinements, rien n’arrêtera le cuisinier et l’Alchimiste navigue au début dans les eaux troubles du Covid. Deux ans plus tard, c’est toute un équipe de cuisiniers – en charge de la production pendant la journée, une autre entrant en scène le soir afin de poursuivre l’assemblage – qui font rayonner le talent de ce cuisinier en marge de tout ce qui se fait actuellement en matière de gastronomie.
Bouleversement
A quoi devions-nous attendre de l’autre côté de l’imposante porte en bronze ? J’ai envie de tout vous raconter mais je ne le ferai pas. Les mots ne seraient pas suffisants pour exprimer les innombrables sentiments que j’ai ressentis en un seul repas. J’ai envie de tout vous montrer mais là aussi je ne le ferai pas. Les images ne seraient pas assez représentatives de ce que j’ai pu vivre le temps d’un dîner. Pour une fois, je partagerai avec vous le minimum ! Non pas par manque d’envie, mais plutôt parce que je vous souhaite sincèrement de pouvoir vous attabler une fois chez le chef Rasmus Munk et vivre une expérience comme je n’en ai jamais vécue auparavant.

Une soirée au restaurant Alchimiste à Copenhague m’a bouleversé jusqu’au plus profond de mon être. Ce dîner a été une remise en question sur l’univers gastronomique que je croyais jusqu’alors figé dans une forme d’immobilisme créatif. Ce dîner est bien plus qu’une simple expérience gustative mais ressemble plutôt à une immersion holistique et spirituelle avec ses 50 créations culinaires toutes plus exceptionnelles les unes que les autres. Chaque séquence m’a poussé dans mes retranchements gastronomiques et à ma grande surprise l’ensemble m’a même conduit vers des sphères de gourmandise et de générosité jusque-là inégalées.
Moi qui étais méfiant à l’encontre de l’école danoise, sans vraiment savoir pourquoi finalement, j’ai été renversé par la cuisine de ce chef hors du commun ! Laissons de côté les idées préconçues sur ce que sont la fermentation et la préservation à outrance, découvrons un univers unique au monde et allons à la rencontre de celui qui révolutionne à lui tout seul la gastronomie comme on l’entend généralement.