Thierry di Tullio, l’âme vivante de la Vague d’Or
Malgré un mercure avoisinant les 40 degrés en cette fin de matinée de juillet, Thierry di Tullio arbore un costume bleu marine et une cravate impeccablement nouée. La saison estivale bat son plein sur la presqu’île tropézienne, mais au bord de la mer Méditerranée, la terrasse de l’hôtel Cheval Blanc se réveille paisiblement sous l’ombre protectrice de deux pins parasols majestueux. La scène est saisissante : le clapotis des vagues apporte une sensation de détente, le soleil est au zénith, le massif des Maures se déploie en toile de fond. Au milieu des convives attablés pour le petit-déjeuner à l’abris des regards, Thierry di Tullio se déplace sur la terrasse avec légèreté et discrétion. Un moment matinal essentiel avant la longue journée qui attend ce directeur de salle hors du commun. Il observe sans être obséquieux. Il corrige sans être moralisateur. Il communique sans élever la voix. Nous l’interrompons dans le début de sa journée. Il se prête au jeu et nous lui en sommes très reconnaissants.

Inspecteur Michelin
Issu d’une famille d’origine italienne, il grandit proche de Hyères aux côtés d’une mère qui prend plaisir à cuisiner au quotidien pour sa famille. Gnocchis, lasagnes, sauce bolognaise… les déjeuners dominicaux sont sous le signe transalpin. « L’intensité qu’elle apportait à sa cuisine était à la hauteur de sa personnalité. Lorsque l’on est enfant, on est touché par ce que l’on reçoit ». A mille lieues du monde de la restauration, le jeune Thierry di Tullio rêve plutôt de devenir footballeur professionnel. Encore adolescent, il rencontre la femme de sa vie et se résigne à arrêter sa carrière sportive. Un choix difficile mais où le cœur a rapidement pris le dessus sur la raison.
Souhaitant devenir indépendant, il arrête l’école dès 18 ans et travaille dans une pizzeria-crêperie. « À ce stade, j’étais loin de cette haute gastronomie qui pour moi était synonyme d’élitisme » se remémore Thierry. Il dépose son curriculum vitae au sein du journal local et décroche un poste dans un bistrot de quartier. Seul en salle, il gère les convives attablés et se satisfait de ce rôle sans vraiment se poser de question. Un jour, après avoir déjeuné au restaurant et demandé l’addition, un homme se présente comme étant un inspecteur du Guide Michelin et souhaite parler au chef de cuisine pour faire le point sur l’expérience de son repas. Il interpelle par la suite Thierry di Tullio lui rappelant qu’au cours du déjeuner il lui avait posé une question à laquelle Thierry n’avait pas su répondre. Et sa remarque fut la suivante : « Au vu de votre incompétence, vous pourriez mettre à mal le projet d’une maison d’obtenir un jour une étoile Michelin. Réfléchissez bien à votre avenir ». Une critique cinglante pour le jeune directeur qui en tire la conclusion positive de changer sa manière de concevoir la profession. Il ne reverra jamais le monsieur en question mais, à partir de ce jour, il ne regardera plus jamais en arrière.

Direction Courchevel
Sous l’impulsion du chef Christian Farenasso, le jeune maître d’hôtel part à Courchevel pour la saison d’hiver. Avec à peine de quoi payer son billet de train, il débarque à l’hôtel La Caravelle au sommet de la station huppée de Haute-Savoie. Thierry di Tullio s’occupe du bar et du petit-déjeuner. « Je suis tombé sur un psychopathe du timing : il fallait que le client puisse avoir son plateau en chambre en moins de trois minutes après la commande ». Il apprend la précision, la rigueur et le service. Après un poste de chef de rang décroché en Bourgogne, le jeune couple part à New York avec l’équivalent de quinze jours de budget en poche. L’aventure américaine durera moins de deux ans avant le retour sur le sol hexagonal.
A 25 ans, le couple pose ses valises à Méribel et décroche le poste de directeur des trois restaurants de l’hôtel Antarès pour Thierry et le poste de comptabilité pour son épouse. Ils y resteront six ans jusqu’en 1998 en décrochant une étoile au Guide Michelin. Thierry peaufine son discours, affute ses gestes et sans le savoir vraiment crée son propre style de service. « Au cours des échanges que j’ai avec mes hôtes, si je rentre dans un discours impersonnel, cela n’a aucun impact. Le client ne peut pas s’identifier à mon récit s’il ne le comprend pas. Pour que le client soit intéressé, il faut trouver la bonne intonation, la bonne gestuelle et le bon regard ». Une symbiose qui ne peut se faire sans la lisibilité de la cuisine.
L’épopée Cheval Blanc
Après les hauteurs savoyardes, Thierry di Tullio débarque sur les rives tropéziennes et jette son dévolu sur un hôtel familial. A cette époque, la propriété ne faisait pas encore partie de l’escadron Cheval Blanc et s’appelait La Pinède. C’est l’ancien propriétaire des lieux, Jean-Claude Delion, qui fit venir Thierry di Tullio vers le célèbre village varois. En 2005, un certain Arnaud Donckele reprend les commandes des fourneaux du restaurant. Encore inconnu au bataillon de la galaxie des chefs étoilés, les deux personnages s’apprivoisent et se trouvent rapidement sur la même longueur d’onde. Cette même année, Bernard Arnault, le chef d’entreprise français, rachète La Caravelle pour y construire le Cheval Blanc Courchevel en 2006.

Pendant ce temps, au restaurant La Vague d’Or à Saint-Tropez, le duo Thierry di Tullio et Arnaud Donckele diminue le nombre de couverts, enrichit les références viticoles et s’oriente vers une cuisine régionale ancrée dans la Provence et la Méditerranée. D’année en année et de service en service, le binôme se rapproche, se comprend et s’élève mutuellement pour ne faire plus qu’un. « Je faisais toutes les ouvertures et les fermetures. Certains soirs à deux heures du matin, Arnaud venait m’aider à repasser les nappes du restaurant pour que je puisse terminer plus tôt. Je reprenais du service à 6h00 pour les petits-déjeuners » se remémore Thierry.
L’ère LVMH
En 2010, la Vague d’Or décroche une deuxième étoile inattendue à ce stade de l’aventure, à la grande surprise de l’ancien propriétaire qui était réfractaire au projet gastronomique porté par nos deux protagonistes. Un vendredi soir de l’année 2013, le Guide Michelin téléphone au restaurant et annonce à Arnaud Donckele que l’établissement est récompensé d’une troisième étoile. « Nous étions tellement heureux que rien n’aurait pu venir ternir ce rêve qui paraissait inaccessible et était devenu réalité au-delà de nos plus grandes espérances ».
Le 17 août 2015, Bernard Arnault vient dîner et tombe amoureux du restaurant. À la fin du repas, il demande à parler à Arnaud Donckele. La conversation restera bien évidemment secrète. Trois mois plus tard, le patron du groupe LVMH fait une proposition et rachète l’hôtel de la Pinède qui deviendra le Cheval Blanc Saint-Tropez. « Vingt ans plus tard, la boucle est donc bouclée. Dans ce que nous faisons, nous nous efforçons de créer des souvenirs. La région est fondamentale, le fait de connaître les producteurs et raconter une histoire est fondamental. Nous avons une responsabilité de tous les jours. Avec Arnaud, nous avons trouvé notre style et nos convives s’y sont rapidement identifiés. Cela n’a pas toujours été facile mais quel chemin… ! » Merci Monsieur Thierry.
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