Roberto, héritage et transmission

Edouard Amoiel
08 avril 2025
L’institution italienne fête ses 80 ans cette année. Une raison de plus pour brosser le portrait d’une famille dont l’histoire se poursuit et qui continue d’illuminer Genève avec passion, flegme et singularité.
Nous arrivons au restaurant Roberto en milieu de matinée. La scène est belle : le théâtre de la rue Pierre-Fatio s’éveille. Les nappes sont dépliées et délicatement posées sur les tables. L’argenterie s’aligne au fur et à mesure que le dressage se précise. L’aspirateur zigzague dans chaque recoin de cette impressionnante salle de restaurant unique en son genre. Tandis que les cuisiniers s’affairent aux préparatifs gastronomiques du service de midi, Marietta Carugati nous accueille avec grâce et élégance. Fille de l’illustre Roberto, elle est rapidement rejointe par sa fille Eleonora et son fils Alexandre pour un interview en toute intimité. Nous passons au premier étage du restaurant à l’abris des regards. La réunion de famille débute et le moment est solennel.
Aller simple
En préambule du récit d’un parcours hors du commun, nous décidons de faire un retour dans le passé. La famille quitte le nord de l’Italie à la fin du 19ème siècle pour la Suisse. « Mon grand-père Carlo s’est arrêté à Genève parce qu’il n’avait pas assez d’argent pour s’offrir un billet de train jusqu’à Paris. Dès son arrivée, il a fait venir ses frères et c’est à ce moment que tout a commencé » raconte Marietta Carugati. Le clan s’installe dans la cité de Calvin et ouvre successivement le Milan et par la suite le Bologne, premiers établissements italiens dédiés à la gastronomie transalpine.

Né en 1912 à Genève, Roberto Carugati évolue dans un environnement où la restauration fait partie du quotidien. Artiste dans l’âme, il s’affranchit rapidement du reste de sa famille et ouvre en 1945 son premier restaurant éponyme, alors situé rue de la Madeleine. Le lieu est vétuste mais authentique. Les amis du patron viennent tout d’abord jouer aux cartes avant de déguster un risotto au safran servi sur le pouce. « Mon père rêvait d’être peintre et de vivre de son art. Maîtrisant quatre langues, c’était un homme cultivé, aux goûts simples qui se contentait de peu dans la vie mais aimait néanmoins les belles choses. Les notions de restauration se précisent lorsqu’il rencontre ma mère. Le sens des affaires, l’art de la table et de l’accueil viennent d’elle » confie-t-elle.
Transmission naturelle
À ses débuts, Marietta Carugati n’était pas prédestinée à travailler au sein de l’entreprise familiale. C’est au fil du temps qu’elle prête attention à l’univers gastronomique dans lequel évoluent ses parents. La jeune restauratrice apprend, regarde, déguste en compagnie de son père. La transmission se fait d’elle-même. Et tout naturellement, elle reprend le rôle principal de l’histoire du restaurant Roberto (déménagé entre temps dans les locaux actuels de la rue Pierre-Fatio ouvert en 1977) aux côtés de son père et quelques années plus tard aux côtés de ses deux enfants, Eleonora et Alexandre. « Travailler en famille peut-être l’enfer ou le paradis. Pour moi, c’est le paradis ; chaque enfant fait ce qu’il aime. Nous sommes très complémentaires et nous nous respectons beaucoup. Sans mes enfants, je n’aurais rien fait… même si j’adore être la cheffe incontestée » révèle-t-elle avec humour. Ce qui déclenchera un fou-rire entre les trois protagonistes et moi y compris.
Du côté des enfants, la transition se fait également tout naturellement. Eleonora Campa tient les comptes et Alexandre allume la flamme des fourneaux. Il suffit de regarder leur bureau respectif pour constater que celui d’Eleonora, qui maîtrise les chiffres, est parfaitement organisé et celui d’Alexandre, le chef de cuisine, est plus fantaisiste et moins ordonné. « J’ai rapidement voulu prendre soin de cet héritage. Mon grand-père me disait toujours que quels que soient les problèmes, le rideau se lève à midi » relate Eleonora. Même vision pour Alexandre qui, malgré des études de droit, cède rapidement au chant des sirènes familiales. « Le restaurant faisait partie de notre vie même si l’on n’y travaillait pas. C’était une évidence pour moi de rejoindre l’aventure » précise le cuisinier.

Une histoire de famille
Malgré les modes qui changent, le temps semble ne pas avoir de prise sur cette institution familiale qui continue de séduire comme au premier jour. « Le cœur, l’accueil, le service et la cuisine ; nous nous concentrons sur l’essentiel afin de maintenir la tradition » rappelle Alexandre. Comment résumer toute une vie à travers quelques lignes. L’entretien fut si riche en anecdotes, en histoires et en émotions que nous aurions pu découper ce récit en plusieurs chapitres. C’est avec beaucoup de modestie, d’humilité et de retenue que la famille souffle les 80 bougies de son histoire ancrée dans le cœur des genevois. À l’annonce de ce chiffre si symbolique, l’émotion prend le dessus et le mot fierté est de sortie… mais de courte durée. « Je n’arrive pas à me sentir fière, je travaille… c’est tout et je m’efforce, avec mes enfants, de faire du mieux possible. Pour moi, cet anniversaire je le dédie à mon père » résume Marietta.
Pour Alexandre, cet accomplissement est une étape de vie et le chemin est encore devant nous. « D’un côté, c’est comme une évidence mais il y a quelque chose qui nous dépasse. Nous avons franchi une étape mais la route se poursuit ». Eleonora, quant à elle, vit ces moments de travail avec les siens avec une joie non dissimulée. « Nous arrivons à nous voir tous les jours de la semaine et à déjeuner tous ensemble même le dimanche qui est notre jour de congé » nous confie-t-elle. On comprend ainsi la signification et l’essence même de Roberto ; ce nom est certes une réussite entrepreneuriale mais surtout une réussite familiale. Comme le disait son fondateur, Roberto est une pièce de théâtre qui se joue deux fois par jour. Que le spectacle continue…
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