Jérôme Banctel, la vie c’est tout ou rien !

Edouard Amoiel

24 mars 2025

Le chef triplement étoilé, Jérôme Banctel, officiant à La Réserve, nous ouvre les portes de son royaume gastronomique et sort de sa réserve !

Nous retrouvons le chef Jérôme Banctel dans un des salons bibliothèque du palace parisien La Réserve. Ambiance tamisée, univers feutré, paroles mesurées… tout au moins en prélude de l’entretien. Le cuisinier auréolé d’une troisième étoile au guide Michelin lors de l’édition 2024 est un homme heureux, voire soulagé de l’avoir (enfin) obtenue. Cet ancien disciple de Bernard Pacaud à l’Ambroisie et d’Alain Senderens au Lucas Carton a la cuisine dans le sang et le football dans le cœur. Plus en phase avec sa cuisine que jamais, il cultive l’art du beau et du bon sur fond de cuisson à la chaux. Loin de correspondre à l’image que l’on peut se faire d’un restaurant gastronomique d’un hôtel cinq étoiles, le cuisinier pratique une cuisine libre, tranchée, composée de plats en sauce, en s’écartant des modèles préconçus imposés par ce genre d’établissement. Présentation d’un homme affranchi.

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Le chef Jérôme Banctel ©Julie Limont

Foot vs. Food

« Breton des terres et non breton de la mer » comme il l’annonce dès les premières secondes de notre échange, il grandit au sein de la ferme de ses grands-parents. « La mer, je la voyais seulement pendant les vacances. Une enfance heureuse mais très laborieuse » se remémore-t-il. Jusqu’à ses quatorze ans, l’adolescent ne pense qu’au football. Il aurait pu devenir professionnel mais la vie le mène vers la cuisine. « J’ai longtemps regretté de ne pas être allé au bout de mon rêve et j’ai atterri à l’école hôtelière par dépit. À choisir maintenant, je me sens mieux dans ma cuisine que sur un terrain de foot ».

L’apprenti cuisinier se lance un nouveau défi, il retrousse ses manches, enfonce sa toque, aiguise ses couteaux et part à l’aventure en se donnant corps et âme à cette profession qui lui tend les bras. « Quel que soit l’objectif que je me suis fixé, je suis capable de tout pour atteindre mon but. Il faut que je sois le meilleur tout de suite ». Un trait de caractère qui façonne les épisodes successifs de la vie de Jérôme Banctel dès son plus jeune âge et qui l’anime encore aujourd’hui. Une attitude sans concession souvent incomprise par les personnes qui l’entourent mais qui lui ont permis d’être parmi les meilleurs aujourd’hui. « En règle générale, les gens attendent avant de donner. Moi je donne tout, tout de suite.  Et la vie nous le rend bien, peut-être pas sur-le-champ mais à un moment ou un autre ».

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La fameuse carotte du chef Jérôme Banctel ©Geraldine Martens

Place des Vosges et Place de la Madeleine

Jérôme Banctel commence son parcours chez le chef Michel Kerever qui lui apprend la notion du « bien faire » sans concession. Un personnage sévère mais respectable pour qui la notion d’apprentissage prime au-dessus des manières. Après un passage de deux ans au sein de l’hôtel Crillon aux côtés de cuisiniers entamant leur carrière, comme Éric Frechon ou Christian Constant, il prend la direction de la Place des Vosges pour rejoindre le restaurant l’Ambroisie du modeste et discret Bernard Pacaud. « Tout se fait dans le calme et le silence autour de produits d’exception au sein d’une maison familiale. C’est une cuisine classique, ce sont d’exceptionnels jus et le couple Pacaud ne calcule pas ou très peu. J’ai conservé les trois étoiles de cette maison avec une volaille à la Kiev farcie de foie gras et une côte de boeuf ».

Puis, quand Jérôme Banctel arrive en tant que chef chez Alain Sederens tout est à refaire… en tout cas d’une autre manière. Arborant une veste de cuisinier par-dessus sa chemise cravate, le chef de la Maison Lucas Carton, Place de la Madeleine, est un dégustateur d’exception au palais exigeant. Inventeur de l’accord mets et vin, il compose ses menus en choisissant d’abord les flacons qui vont accompagner les plats. Une révolution culinaire et viticole a lieu dans ce temple gastronomique. « Tout en apprenant réellement le mot rigueur, cette décennie m’a permis d’affiner mon style et de gérer mes coûts au centime près ».

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La salle du restaurant Le Gabriel ©La Réserve

La décennie Réserve

Jérôme fait ensuite l’ouverture du restaurant Le Gabriel en 2015 dans un Paris meurtri par les attentats du Bataclan. Le propriétaire lui laisse carte blanche mais la feuille de route gastronomique l’est tout autant. Par où commencer ? Un seul objectif : décrocher les trois étoiles au guide Michelin. « Nous étions investis à fond, extrêmement déterminés, avec une vraie envie de créer. Mais à cette époque, j’ai proposé du Pacaud-Senderens-Banctel. Je n’avais pas encore trouvé mon ADN, donc j’ai mixé les savoirs ». Il décroche cependant deux étoiles la première année d’exploitation et La Réserve se voit positionnée comme une nouvelle destination d’exception dans la capitale française.

De 2016 à 2019, la cuisine de Jérôme Banctel se libère de son héritage culinaire et l’émancipation créative commence à se manifester de plus en plus. Fallait-il s’affranchir de ses pairs ? Dans cette optique, il intègre la cuisson à la chaux au sein de sa cuisine… un moment marquant qui coïncide avec le retrait du beurre et de la crème de l’ensemble des sauces. Seule la crise sanitaire parvient à freiner Jérôme Banctel dans son élan et lui permet de prendre le temps d’une introspection personnelle. Grâce à ses voyages, il intègre un soupçon de Bretagne, une touche de Turquie et une pincée de Japon dans son univers. Ses plats sont le prolongement de sa vie. Avec patience, détermination et abnégation, il décroche sa troisième étoile l’année dernière. « C’était impératif de l’obtenir, il n’y avait pas d’autre choix possible. Je n’aurais jamais pu vivre sans ». On vous le dit, Jérôme Banctel, c’est tout ou rien !

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