A la poursuite du diamant noir

Edouard Amoiel

25 janvier 2022

Le champignon de luxe est de retour sur nos tables pour le plus grand bonheur des gourmets. Avec un marché plus compétitif que jamais, le trésor terreux se démocratise. Mais attention aux faux-semblants.

C’est l’aliment phare de la rentrée dont les chefs raffolent et que les gourmands adorent. Produit de luxe par excellence, la truffe noire arrive sur nos tables pour le meilleur et pour le pire. De janvier à mars, elle parsème les œufs, les légumes, les pâtes ou le risotto donnant à nos assiettes des airs de marbre noir veiné de blanc. Chaque début d’année, elle est source d’inspiration pour les cuisiniers. Alors que la crise sanitaire fait rage et que de nouveaux marchés sans scrupule viennent bousculer les codes établis, ce champignon a-t-il toujours la lamelle en poupe ?

Truffes noires

© Léman Truffes

Truffes toujours

Caché à l’abris des regards au sous-sol d’un immeuble en périphérie genevoise, le laboratoire secret de Léman Truffes constitue un délit gourmand réservé aux initiés. Les patrons de cette jeune entreprise, Yvan Juston et Christophe Coissieux, s’efforcent de distribuer les meilleures truffes en provenance de l’hexagone. Trufficulteur de père en fils, ce dernier a même été sommelier avant d’être courtier. Le principe dans les grandes lignes ? Achat, nettoyage, triage, calibrage et revente. Après plus d’une décennie à arpenter les collines drômoises, ils ouvrent leur entreprise en pleine crise sanitaire. « Les débuts ont été très difficiles mais nous nous accrochons. Heureusement que les restaurants sont restés ouverts ».

Encore opaque à bien des égards, le marché de la truffe reste une affaire d’offre et de demande. Même si de nombreux producteurs se sont équipés d’arrosage automatique, une année sans eau est un mauvais millésime pour le champignon. « L’arrosage des sols grâce à une irrigation contrôlée permet aux producteurs d’avoir des truffes même en période de climat sec. Malgré un processus de recherche sur le terrain qui reste laborieux et aléatoire, on assiste au début d’une forme de démocratisation de la truffe qui découle sur une standardisation des tarifs » déclare Christophe Coissieux. Alors que la fluctuation des prix se réduit au fil des récoltes, inutile d’imaginer pouvoir planter des chênes truffiers et obtenir 100% de réussite. La cueillette est une affaire de patience et d’abnégation qui dépend aussi bien des sols que du calendrier lunaire.

Truffe risotto

© Léman Truffes

Supplément d’âme

D’un point de vue qualitatif, les truffes achetées par les deux jeunes patrons proviennent des collines de la Drôme et poussent sous des terres sablonneuses permettant une parfaite évolution. « Même si les fêtes de fin d’année sont propices à une forte consommation, la meilleure période pour déguster les truffes c’est maintenant » rappelle le patron. En termes de légitimité, aucun label ne reconnaît la qualité du produit français. Avec la Chine et l’Australie en peloton de tête, l’Espagne est devenue en l’espace de quelques années le plus grand producteur de truffes au monde. Avec 45 tonnes de diamant noir récoltées en 2019, la version du champignon ibérique met la pression sur la filière française.

En partie subventionnée par la communauté européenne, l’Espagne a optimisé sa production de truffes avec une culture intensive, rattrapant ainsi des siècles d’histoire et de savoir-faire. « Ils produisent énormément, mettent la pression sur le marché et font en sorte d’augmenter la spéculation ». Truffe sur le gâteau : certaines entreprises françaises achètent les avatars espagnols et les revendent par la suite avec l’étiquette made in France. « C’est tout simplement mensonger.  A la fin, les consommateurs sont perdus et ne savent plus distinguer le vrai du faux » déclare Christophe.  Cette spéculation aux retombées financières potentiellement importantes est loin d’être maîtrisée et la truffe demeure plus vulnérable que jamais.

© Le Bologne

En mode bistrot

Côté fourneaux, le chef du Bologne, Florian Le Bouhec, la propose en entrée gourmande sous forme de sandwich tel un croque-monsieur. Coupée en fines lamelles, la truffe est tapissée d’une généreuse couche de beurre et parsemée de quelques grains de sel. « J’aime la cuisiner simplement afin de la mettre le plus en avant possible. La star c’est elle » précise le cuisinier. Direction la commune de Veyrier en campagne genevoise où le chef Patrick Laporte cuisine la truffe depuis toujours. Patron des fourneaux du Café de la Réunion, il lui dédie un menu complet.  Une transparence de crème de pomme de terre et œufs brouillés à la truffe débutent le festival avant de laisser place à l’unilatérale de Saint-Jacques et topinambours truffés. Le suprême de poulette fermière de Bourgogne truffé sous la peau et ses cardons apportent du   réconfort et une touche gourmande. « Il ne faut pas tomber dans le piège des contrefaçons. Mieux vaut s’entourer de professionnels que de faire appel à des amateurs. La truffe est un si beau produit ; autant lui rendre hommage de la plus belle des façons plutôt que de la dénaturer avec une mauvaise qualité ».

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