Cuisinier, tout naturellement

Edouard Amoiel
07 décembre 2021
Jonas Bolle, le jeune cuisinier du restaurant Naturlich, continue de mener son incroyable parcours. Confidences d’un talent à suivre.
Non, Jonas Bolle n’a pas de tatouage maori sur les bras. Non, Jonas Bolle n’a pas de piercing dans le nez. Non, Jonas Bolle n’a pas d’aversion pour la viande. Et non, Jonas Bolle n’est ni végétarien, ni vegan et ni intolérant au lactose. Jonas Bolle est libre, tout naturellement et tout simplement ! Libre de cuisiner, de mijoter, d’accorder, de saupoudrer et d’assaisonner en fonction de son goût. Et quel goût, quel palais et quelle (ré)création de saveurs ! Le chef de 25 ans à peine étonne par autant de maturité culinaire. Parcours d’un prodige des fourneaux qui, par sa spontanéité naturelle, son talent insolent et son flegme, ravive la flamme du restaurant Natürlich.
© Edouard Amoiel
Parmentier de Proust
Jonas Bolle arbore un look décontracté typique de sa génération. Aucun superflu vestimentaire : tee-shirt blanc, basket, jeans et chaussettes rouges… seul signe excentrique sans qu’il en ait l’air. Il pourrait même donner l’impression d’être le gendre idéal quelque peu ennuyeux. Et pourtant, l’univers des fourneaux bouillonnait en lui dès son plus jeune âge. Tous les mercredis cet ancien mauvais élève (qui ne se donnait pas la peine de travailler) partait chez sa grand-mère pour faire des dictées et la cuisine. Les recettes survivront plus que les devoirs. « Une seule condition à cet accord familial : si je réussissais la dictée, je pouvais cuisinier. Ce sont les premiers principes de la carotte devant l’âne ». Il se remémore encore le bonheur intense qu’il a ressenti lors de la dégustation d’un hachis Parmentier confectionné par ses soins. « Ce plat est ma madeleine de Proust. Ces journées passées aux côtés de ma grand-mère sont les prémices de mon orientation professionnelle ».
Au même titre que le jeune garçon de 10 ans est admirateur du chanteur connu ou du sportif de haut niveau, Jonas, quant à lui, rêve d’arborer la tenue de cuisinier. Pour son anniversaire, il réclame d’aller chez la cheffe étoilée Anne Majourel. « Que ce soit le nœud des serviettes, les séquences millimétrées du bal de l’équipe de salle ou la décoration des plats, je découvre l’univers de la haute gastronomie pour la première fois ». Afin de connaître toutes les facettes du métier, ses parents le poussent à faire des stages dans le monde impitoyable de la restauration. En septembre 2011, direction l’École Hôtelière de Genève au restaurant Vieux-Bois.
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Rigueur militaire
Le jeune Jonas apprend tout ce qui concerne les quantités liées à la cuisine de production, les facettes du restaurant semi-professionnel et les balbutiements de la cuisine moléculaire. « Inconsciemment, je m’imprègne de ces trois variétés gastronomiques pour en faire ma sauce à moi ». Lors de sa troisième année d’apprentissage, il passe et remporte le concours des Jeunes Talents Escoffier Suisses à l’âge de 17 ans. Le gagnant décroche le privilège de faire une semaine de stage au restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier afin de préparer le concours international. « Avant cette expérience, difficile d’imaginer le niveau d’exigence d’une telle maison. Il faut l’avoir vécue une fois pour en comprendre la rigueur quasi militaire. Autant j’étais admiratif d’un tel environnement, autant j’ai su que je ne voulais pas évoluer dans ce milieu ». En présence des chefs Thierry Marx et Régis Marcon, Jonas gagne la finale internationale.
Malgré une soudaine notoriété, il choisit d’intégrer la petite cuisine du chef David Tracol au restaurant La Fontaine. A deux derrière les fourneaux, ils perfectionnent leur apprentissage du métier et la maîtrise du produit. Puis désireux de découvrir le monde, il part en Inde chez une éco-féministe gérante d’une ferme de permaculture. « Je découvre qu’il n’y a pas que l’occident sur cette planète. C’est tellement enrichissant de découvrir d’autres cultures ». Après un détour par les États-Unis, il est temps de revenir en terre helvétique. Après avoir refusé un poste chez Guy Savoy, c’est aux côtés du cuisinier Muhamed Muratovic au restaurant Le Bleu Nuit qu’il pose ses couteaux. « J’ai énormément appris à ses côtés. Avec lui la monotonie n’existe pas ».
Aujourd’hui, libre de pleinement exprimer son potentiel gastronomique, c’est avec un enthousiasme non dissimulé qu’il officie derrière sa cuisine ouverte, nichée au fond d’une salle dont la fresque du plafond aux couleurs pastel rappelle les ciels de Claude Monnet. L’avenir semble radieux pour le jeune cuisinier qui vient de décrocher la note de 14 dans la dernière édition du GaultMillau.