Au Suquet, la poésie des Bras
Tout quitter pour mieux se retrouver, prendre la route, laisser la grisaille derrière soi et s’échapper vers ces contrées où le temps semble en suspension. Sur les routes sinueuses de l’Aubrac, les arbres ont revêtu leur manteau doré, les couleurs oscillent entre l’ocre et la rouille, la lumière s’adoucit, l’air devient vif et clair, l’automne est bien là propice à de belles promesses.

L’immensité en quête d’évasion
La route depuis Genève est longue, mais si belle ! Vers la fin, elle serpente à travers des paysages d’une pureté brute, et tout à coup, au détour d’un virage, apparaît Le Suquet. Perché au sommet d’une colline, le restaurant de la famille Bras veille en toute quiétude sur une vallée à couper le souffle. Ici, la nature n’est pas un décor : elle est la matière première du rêve. Assis face à l’immensité, on sent grandir ce besoin d’évasion. L’envie de se laisser porter, de ne plus penser à rien – sinon à la beauté du monde et à ce qu’elle a de plus naturel.
La famille Bras n’est pas inconnue dans le monde des toques françaises. D’abord Michel le père, puis Sébastien le fils aujourd’hui aux commandes qui continue à perpétuer les traditions d’un clan discret et réputé pour son abnégation. Alors qu’en 1999 leur établissement avait déjà obtenu trois étoiles au Michelin, ils décident de se retirer du guide en 2017. Une décision pleinement assumée pour le duo qui poursuit son chemin avec résilience et panache.

Enfin le « gargouillou »
Le « gargouillou » de jeunes légumes, herbes et graines germées, effleuré de sansho du jardin, ouvre la marche ; un tableau vivant,, une invitation à se perdre dans la saison et la nature environnante. Plus d’une soixantaine de plantes et herbes y sont délicatement dispersées, comme une ode au végétal dans sa plus pure expression. Le crabe-de-lune, mousseline et chair de tourteau, est acidulé aux agrumes, coco de Paimpol au consommé de crustacés et cresson de Perce. La mer, le vent, les herbes : un voyage sensoriel et tranché par l’onctuosité d’une mousseline et la douceur d’un bouillon.
Le foie gras de canard poêlé du domaine de Rouilly, accompagné de pomme Akane, de brousse de brebis, d’un jus de peau relevé de vinaigre, d’une émulsion d’amandon et d’oseille, offre une belle générosité : le chaud, le froid, le fondant et un long passé culinaire s’équilibrent et se racontent en quelques bouchées. Grillée à la rôtissoire, la pièce de bœuf, quant à elle, s’impose avec justesse – jus court infusé à la cascara, châtaignes frites, moutardes vives : la simplicité du feu, la vérité du geste.

Repas en apesanteur
Et toujours au menu, ce fil indéfectible entre passé et présent : l’aligot, relevé de truffes noires du pays, parfois surnommé le « ruban de l’amitié », longuement travaillé pour obtenir une texture élastique. Pour terminer, un biscuit coulant à la réglisse, une réinterprétation du coulant originel de 1981. Une note finale, rêveuse, suspendue dans le temps. Au Suquet, on ne vient pas seulement déjeuner. On vient s’évader, s’élever, sans vouloir redescendre. Et à la suite de ce repas en apesanteur, un désir de voir le monde autrement nous envahit : les yeux ouverts, le cœur battant et l’esprit libre. Il est temps de reprendre la route sinueuse de la vie…
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