Matière première

Nous n’attendions plus grand-chose de ce tronçon de la rue Micheli-Ducrest. Arpenter cette artère s’accompagne d’un sentiment de perdition, tant il semblerait qu’aucune âme en quête de plaisir gourmand ne s’y aventure. Il vaut mieux avoir du cran et une sacrée dose d’imagination pour oser s’engager dans ce périmètre abandonné, culinairement parlant. Cela dit, le temps fait bien les choses. Une histoire se termine, une autre commence et soudainement une arcade, longtemps absente des radars gastronomiques, refait surface. Voici l’aventure d’acteurs passionnants et passionnés qui décident de se rassembler afin de rendre Genève encore plus attirante.

En matière de…

Depuis lors, nous les attendions de pied ferme ! Non pas pour leur tailler un costume, mais plutôt en signe de réjouissance anticipée. Avec une équipe pareille, réunie au sein d’un même projet, comment ne pas céder à l’engouement ? Il y a tout d’abord Marion Schneider, qui nous accueille telle une maîtresse de maison bienveillante, puis son époux, Lionel Schneider, l’homme de la vigne, qui nous fait le plaisir de fouler le sol genevois après avoir quitté les rives du lac d’Annecy chez un certain Jean Sulpice. Le changement de lac lui va d’emblée très bien !

Côté fourneaux, il y a le chef Freddy Garanjoud et son second Clément Masson. Ancien chef du restaurant Yeast à Carouge, Freddy a longtemps officié dans la brigade de Philippe Bourrel, au sein de l’hôtel Richemond. Et il y a le couple de l’ombre, un tandem sans qui toute cette mise en place n’aurait sûrement jamais vu le jour : Bérangère et Bertrand Lutaud, la marraine et le parrain encourageants. Les présentations ayant eu lieu, donnons un coup de fourchette !

Donner matière

Le lieu est sobre et apaisant. Certains discrets travaux ont déjà été effectués, il en reste. Là encore, le temps fait bien les choses. En à peine quelques semaines, l’équipe s’est appropriée un espace des plus convivial et bienveillant. Au même titre que ses protagonistes, Matière se veut humble, tout en cherchant de hautes sphères gustatives.

La carte est judicieuse et printanière. Aussi courte qu’épurée dans ses intitulés, elle représente d’emblée le style de la maison et d’une certaine approche contestataire des énoncés à rallonge. Les produits sont la matière des lieux ; les acteurs d’un ballet que Freddy Garanjoud a la lourde tâche de spiritualiser dans ses casseroles. Nous l’apercevons dans sa cuisine ouverte. Heureux, mais concentré, précis et minutieux. La rigueur est de mise et les premiers actes de ce nouveau chapitre gastronomique s’écrivent à chaque geste exécuté.

Table des matières

Escortées d’un gel citron et d’une envoutante émulsion à la noisette, les asperges vertes, légèrement croquantes, sont un choix aussi saisonnier que salutaire. Pour notre plus grand plaisir, le chef sort de ses sentiers  battus en proposant de moelleux gnocchis, quelques légumes et un jus végétal accrocheur. Une suggestion hors carte qui libère encore plus le cuisinier. Tandis que le chou farci et son cœur de foie gras joue la partition ultime bistrotière, Freddy appelle à la gourmandise avec un turbot, de la ciboulette qui se livre à un duel avec les œufs de poisson dans un magnifique beurre blanc. Le tout, se prélassant sur une purée d’échalotes.

La soirée se poursuit. L’ambiance est à la joie et à la décontraction. Marion et Lionel Schneider virevoltent, courent même entre le passe de cuisine et les tables. Les commandes affluent… le marathon de la salle continue. La carte des vins est déjà bien fournie, d’autres références viendront. Participer au premier chapitre d’une si belle histoire est un privilège, tant ce conte culinaire n’est qu’à ses débuts et promet de grandes envolées gastronomiques. Un récit de personnes qui, du fait de leurs talents, façonnent les aliments avec brio et humanité. Quelle superbe manière de faire resplendir la matière !

Matière, 12 rue Micheli-Ducrest, 1205 Genève. Tel: 022 340 09 40