Le vieux restaurant

Edouard Amoiel

15 septembre 2023

Un serveur débordé, un directeur dépassé, une nourriture frugale et un restaurant délaissé, le Vieux Megève sous l’ère Sibuet donne la triste image d’un village qui a « le vent en groupe ».

Covid aidant ou Covid oblige, la pénurie de personnel qualifié touche de plein fouet le secteur de l’hôtellerie et de la restauration depuis déjà deux ans. Les jeunes souhaitent travailler différemment et réclament le même respect de leur métier que celui porté à la cuisine (merci Top Chef). Car quoi de plus normal que de reconnaître à leur juste valeur ceux qui nous enchantent par leurs sourires, nous comblent par leurs récits et nous bouleversent pas leur savoir-faire. 

Ne l’oublions pas, le service rattrape toute erreur culinaire et non le contraire. Alors que les prix ne cessent de grimper (là aussi, Covid aidant ou Covid oblige ?), le niveau du service de certains établissements n’a jamais été aussi éloigné de toute forme de réalisme professionnel. À qui la faute ? Aux patrons désabusés ? Au personnel démotivé ? Aux clients indifférents ?  Évitons de généraliser et ne mettons pas tout le monde dans le même panier. Car pourtant, malgré cette période de haute tension, des établissements parviennent à fédérer, motiver, conserver et engager des employés désireux de se reconnaître dans une histoire ou un projet, tout en parvenant à adapter les horaires et répondre aux prétentions salariales de ces derniers. Alors pourquoi certains et pas d’autres ? 

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Songe d’une nuit megevanne

Quatre garçons pleins d’avenir décident de dîner ensemble. Des moments privilégiés tant la vie nous rattrape par ses obligations. Ces instigateurs d’un soir sont joviaux, plutôt sympathiques et se réjouissent de déguster une braserade et un verre de vin. Difficile de rater un plat dont l’unique performance consiste à couper de la viande, la disposer sur un plateau, allumer des braises et poser le tout (délicatement en raison de la chaleur) sur la table. Et pourtant, ce n’est pas le plat qui est un fiasco (même si la viande est aussi caoutchouteuse qu’une semelle de chaussures) mais le service. 

Quelle tristesse de voir un personnel aussi peu préoccupé par le bon déroulement d’un dîner. Quelle tristesse de voir un directeur à ce point désintéressé par son personnel, inattentif aux remarques faites à la fin du repas et remettant la faute sur ses subordonnés. Aucune forme de regret, aucune forme de savoir-faire (encore moins de savoir-vivre) et surtout aucune envie de bien faire et de bien recevoir. Faute à l’employé ? Faute à son supérieur ? Faute au groupe exploitant ? A la fin du compte, ce n’est pas le problème du client et, croyez-moi ce soir-là, ce n’était pas non plus le problème du personnel de salle. 

Il est rare que je m’emporte, que je sois négatif ou que je critique un établissement. J’ai toujours préféré me servir des mots justes tout en étant sans complaisance plutôt que d’exercer de l’agressivité verbale. Nous sommes des êtres humains (et non pas des robots). Mais lorsque nos interlocuteurs en salle préfèrent la voie de l’ignorance, de la condescendance et de la rancoeur… alors, il ne me reste plus qu’une seule ressource : alerter. Non pas condamner, ni fusiller (même si ce n’est pas l’envie qui me manque mais prenons de la hauteur) mais souligner plutôt les conséquences négatives qu’une telle attitude peut avoir sur le déroulement d’une soirée. Le manque de métier n’est pas le seul en cause dans cette histoire, le mal est bien plus profond. 

L’envie d’avoir envie

Alors où nous situons-nous ? Sûrement au carrefour d’une ère où le respect n’est plus et où l’ambiance dans certaines salles de restaurant est plutôt en ébullition voire en rébellion. Des décennies d’abus de la part de clients impulsifs, indifférents aux conséquences engendrées par un avis négatif sur TripAdvisor, pourraient en être la cause. Mais la crise sanitaire est aussi passée par nos contrées et la jeunesse a d’autres objectifs et souhaite réagir. L’écart est creusé.  Le personnel de salle prend-il sa revanche sur les clients, devenus les spectateurs dédaignés d’une pièce de théâtre qui se joue midi et soir ? À défaut de vouloir prendre les armes, un apaisement général et une remise en question des valeurs du travail est vitale… particulièrement avec une meilleure gestion des événements, souvent inefficace de nos jours. Difficile pour un patron de donner l’envie d’avoir envie de travailler mais à la fin du compte, on n’a rien sans rien.