Njørden, passion suédoise sur les hauteurs vaudoises

Edouard Amoiel

10 septembre 2024

Le chef et patron du restaurant Njørden, Philippe Deslarzes, nous ouvre les portes de son royaume gastronomique d’inspiration nordique.

Nous devions nous rencontrer à l’occasion de mon podcast Clap de Faim. Nos calendriers respectifs m’ont obligé à passer de la version audio à un récit écrit. Aucune importance puisque le rendez-vous avec Philippe Deslarzes a eu lieu lors d’un aparté gastronomique de haut vol. En quelques années, ce talentueux cuisinier au curriculum vitae déjà bien chargé, s’est hissé vers les hautes sphères de la gastronomie helvétique. Niché au cœur du village d’Aubonne, son établissement défraie la chronique avec sa cuisine nordique entremêlant subtilement l’authentique et l’innovation. Portrait d’une personne affable et discrète qui assume ses choix et qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

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La terrasse de Njørden ©Njørden

Biscuit de Noël

Le récit débute avec le souvenir de l’odeur des biscuits de Noël sortis du four que confectionnait sa mère. Philippe Deslarzes a « toujours eu la tête dans la cuisine » comme il aime le dire. Avec plus de 400m2 de potager et verger à disposition, cette immersion végétale était son terrain de jeu. « J’ai pu très jeune découvrir le monde merveilleux des légumes et des fruits. Lorsque l’on est enfant, on peut directement croquer dans une carotte ou une framboise et se faire son propre avis ». Pendant la période estivale, il ramassait les petites pommes de terre et les rinçait dans le ruisseau qui traverse le jardin familial dans le nord vaudois.

Sa mère est suédoise et son père valaisan. Hauts dignitaires du CICR (Comité International de la Croix-Rouge), le duo parcourt le monde et ses conflits géopolitiques avant de se poser en Suisse et fonder une famille. Le jeune Philippe est bercé par la culture scandinave tout en grandissant dans un environnement helvétique. Les vacances se passent en Suède et sans vraiment le savoir, Philippe Deslarzes s’imprègne de cette culture venant du nord avec ses fêtes, ses traditions, ses décorations et sa gastronomie. « J’ai toujours aimé la cuisine, j’ai toujours aimé manger tout en ignorant que j’étais prédestiné à exercer ce métier ».

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La salle du restaurant gastronomique ©Njørden

Gradé dans l’armée

Doué en mathématiques, il est attiré autant par les sciences que par les fourneaux. « J’ai toujours été très à l’aise avec les maths. Dans n’importe quelle profession et même dans mon métier de cuisinier, il faut savoir compter ». Influencé par son grand-frère qui s’était brièvement inventé cuisinier, il décroche un stage de cuisine chez le grand Carlo Crisci à Cossonay. Une révélation ! Rigueur, technicité, créativité, inventivité et une certaine forme de liberté…. tout était réuni pour que Philippe Deslarzes se sente pousser les ailes de la gastronomie. Il entre dans l’armée en 2009 avant de pousser la porte du restaurant d’un certain Didier de Courten à Sion. « En plus d’un dépassement physique, le service militaire m’a permis de comprendre aussi comment gérer une équipe et comment se gérer soi-même ».

Philippe Deslarzes est sans doute né sous une bonne étoile gastronomique car par chance il intègre la brigade du restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier sous l’ère du chef Philippe Rochat. En pleine passation de pouvoir avec Benoît Violier, ce dernier inculque au jeune cuisinier la notion d’humilité et de discipline au niveau culinaire. Le travail est intense, la pression immense et les heures de travail sont incalculables. Des raisons de santé obligent Philippe Deslarzes à prendre un temps de repos et de réflexion. « Je donnais tout à mon métier sans penser à ma santé. A l’époque, nous travaillions de 7h30 à 23h30 sans aucune coupure. C’était le métier qui voulait ça à l’époque et comme de bons soldats, nous nous adaptions. Heureusement, les choses ont bien changé ».

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Coques de l’atlantique ouvertes au naturel, fenouil en textures et émulsion à la graine d’aneth ©Njørden

Container maritime

Après avoir passé un certain temps au département traiteur des chefs Michel Hug et Lazare Saguer, Philippe Deslarzes change son fusil d’épaule en intégrant les rangs d’une brigade de cuisine au service de chambre du Beau-Rivage à Ouchy avant de rejoindre les équipes de production du Royal Savoy à Lausanne. Un changement radical de style gastronomique mais qui étoffe son parcours le menant, inconsciemment, tout droit vers l’entreprenariat. « J’ai toujours voulu ajouter des cordes à mon arc. Pas besoin d’être dans le meilleur endroit du monde, cet endroit doit juste m’apporter quelque chose ». Dernier arrêt à l’École Hôtelière de Lausanne avant de dessiner les prémices de son futur restaurant.

Tout commence par un crowdfunding qui a fonctionné immédiatement et permis au chef et à son associé Victor Lequet de débloquer des fonds. Le projet de base était un container maritime réaménagé en un restaurant gastronomique pouvant se déplacer. Le concept est à bout touchant de la crise sanitaire, ce qui redistribue les cartes du duo. Philippe Deslarzes ne cède pas à la panique, prend du recul, peaufine son idée gastronomique tout en passant du temps en famille avec son jeune fils. Les deux associés décident alors de trouver un lieu fixe qui puisse accueillir leur concept innovant. « Nous ne voulions surtout pas donner l’impression de surfer sur la vague de la tendance nordique. Nos valeurs sont beaucoup plus profondes ».

Trésors marins

Malgré d’importants travaux dont un carrelage orange à changer, le chef tombe sous le charme d’un nouvel espace à fort potentiel. Au programme, un restaurant gastronomique intimiste au premier étage, une brasserie au rez-de-chaussée et quatre chambres d’hôtel au sein de la bâtisse. Du côté de la cuisine, il s’entête à faire un restaurant exclusivement dédié aux trésors lacustres et marins. Un risque qui s’est avéré être un pari gagné. « Satisfaire une clientèle avide de découvertes est un travail de tous les jours. Mais quelle satisfaction de voir le résultat » confie Philippe Deslarzes. Avec le temps, il continue son chemin avec brio malgré les difficultés liées à la profession. En à peine trois ans d’existence, son restaurant Njørden décroche 16 points au Gault&Millau et une étoile au Guide Michelin. Touché et honoré par de telles distinctions, le chef n’a pas fini de nous surprendre.