Le bon Yeast !

Edouard Amoiel

12 mars 2024

Duo à la scène comme à la ville, Bérengère et Betrand Lutaud débutent leur sixième année aux commandes du restaurant et épicerie Yeast à Carouge. Moment d’introspection...

En bonne partenaire motivée et concentrée, Bérengère Lutaud fait réciter les gammes viticoles à son époux en vue de passer l’examen de la dernière année du fameux Master of Sommelier. Les verres de vin blanc et rouge sont alignés au millimètre près en file indienne, les fiches sont de sortie et les ratures au stylo noircissent les cases libres sur les commentaires liés aux analyses de dégustation (à l’aveugle bien sûr). Les sens sont en alerte et la concentration à son paroxysme. L’examen est un des plus difficiles au monde et l’enjeu est de taille, ce qui rend la scène aussi touchante que rassurante et renforce l’idée que la vie de couple en restauration est encore possible. Quatre vins sur cinq sont identifiés… Même s’il ne se satisfait pas de ce score plus qu’honorable, Bertrand esquisse néanmoins un sourire. L’entretien peut commencer.

Bertrand Lutaud ©EAmoiel
Bertrand Lutaud chez Yeast ©Edouard Amoiel

Période d’interrogation

Comme certains de ses confrères restaurateurs, Bertrand Lutaud a une sensibilité à fleur de peau. Homme de tempérament et d’engagement, ce personnage haut en couleur n’en demeure pas moins un passionné passionnant. Le cœur est grand et la générosité immense chez ce patron introverti. Toujours en perpétuelle réflexion sur l’évolution de son métier, il reste très concerné par l’avenir. « La situation dans sa globalité reste préoccupante. Je me pose toujours un millier de questions. Peut-être que je devrais trouver la force de m’en poser un peu moins » répond-il sur le ton de la plaisanterie. Malgré le quotidien épuisant qu’il s’impose entre les révisions et les services au restaurant, il garde un positivisme débordant qui lui permet sans doute de tenir la route.

En quelques années, le restaurant Yeast s’est rapidement inscrit dans les hautes sphères de la gastronomie genevoise. Avec une cuisine d’auteur à travers la vision de chefs talentueux (impossible d’oublier Freddy Garanjoud, maintenant aux commandes de Matière, et de ne pas saluer le talent de l’actuel cuisiner Ludovic Rolandi), ce lieu de vie où les vins natures se dégustent à foison est une perfusion de bien-être réconfortant. Mais entre-temps, la crise sanitaire a fait des ravages qui se font encore discrètement sentir. La plaie n’est plus béante mais elle a laissé des traces indélébiles. « Nous travaillons dans un petit espace, nous sommes souvent complets mais cela reste très irrégulier. Le restaurant peut être plein un mardi soir comme un vendredi midi : il n’y a plus forcément de logique » avoue le patron.

Entrée Food
Cima di rapa / beurre blanc / betterave @Edouard Amoiel

Réseaux (non)sociaux

Bertrand Lutaud reste perplexe devant l’engagement toujours plus intense sur les réseaux sociaux. Difficile de lui en vouloir tant l’engouement pour la cuisine virtuelle a atteint un niveau maximal. Cette récente incursion technologique s’est rapidement frayée un chemin au sein de la profession obtenant même le statut de communication indispensable. Même si certaines exceptions demeurent, les « non-habitués » à cette nouvelle forme de correspondance peuvent-ils vraiment refuser de s’ouvrir au monde virtuel ? Il est toujours difficile de changer, particulièrement dans un monde qui est en perpétuelle évolution. C’est en dégustant un succulent turbot délicatement nappé d’un beurre blanc relevé par quelques câpres que l’on prend conscience que quoi qu’il advienne, le talent existe chez l’être humain… et le talent existe bel et bien chez Yeast !