Alexandre Mazzia, cœur battant marseillais

Edouard Amoiel
03 mars 2025
Le chef triplement étoilé, Alexandre Mazzia, vient de signer la carte des restaurants du Mucem à Marseille. Aparté sur fond de gastronomie en compagnie d’un chef exigeant et fondamentalement humain.
Il est 18h00 et le soleil se couche sur la corniche Kennedy. Alors que la mer Méditerranée s’agite sous un fort mistral, nous bifurquons sur l’avenue du Prado, non loin du fameux stade Vélodrome. Le restaurant A.M., portant les initiales du chef Alexandre Mazzia, est à quelques encablures du sanctuaire footballistique. En quelques années, ce restaurant intimiste est devenu une référence gastronomique hexagonale en entrant dans le club très fermé des trois étoiles au Guide Michelin. Arborant sa veste de cuisine noire, le chef nous reçoit avec une passion intacte et un engouement décuplé.
Malgré la pression du quotidien, il conserve une vision sereine sur le monde qui l’entoure, passionné par sa profession et amoureux de Marseille comme au premier jour. Difficile de ne pas être admiratif du parcours et de l’ascension fulgurante de ce prodige des fourneaux. Rassurez-vous, l’ancien basketteur professionnel conserve les pieds bien sur terre. Et c’est sa capacité à prendre du recul et de la hauteur qui le rend des plus attachants. « Liberté, Égalité, Fraternité » est la devise de la France, celle d’Alexandre Mazzia est « Humilité, Diversité, Générosité ».

Après Gérald Passedat, vous venez de reprendre la direction des cuisines du Mucem, qu’est ce qui a motivé votre choix ?
« Le Mucem est un lieu extraordinaire mais le challenge en matière de restauration est de taille. Ayant la chance d’entretenir de très bonnes relations avec Sodexo Live et la direction du musée, nous sommes rapidement tombés d’accord sur une vision gastronomique adaptée à cet endroit unique au monde tout en respectant mon univers culinaire. Il y a un espace où seront élaborés des mets dans l’esprit de mon food truck Michel par AM. Sur le même étage, nous avons prévu une table transversale populaire représentative de la région et de la Méditerranée qui proposera aussi bien des poissons grillés qu’un houmous revisité ».
Marseille n’a jamais eu autant le vent en poupe en termes de gastronomie, comment expliquez-vous ce phénomène ?
« Marseille est une ville où il fait bon vivre. Pour les chefs, la région demeure un vivier de produits extraordinaires. La jeunesse est attirée par cette liberté créative et cette mixité culturelle ancrée à chaque coin de rue de la ville. La crise sanitaire a encore plus ouvert la cité phocéenne sur le reste de la France et de l’Europe ».
Vous l’aimez toujours autant cette ville ?
« Je me suis accaparé cette ville. J’ai pris ce que j’avais envie de prendre. Sans oublier qui elle est, Marseille s’émancipe, grandit et demeure, malgré le temps qui passe, toujours aussi étonnante ».

Pour un restaurant de petite taille comme le vôtre (à peine 20 couverts), les guides sont-ils toujours la garantie d’un certain nombre de réservations ?
« Selon moi, les guides sont toujours aussi importants car ils apportent une légitimité à notre travail et nous permettent d’être localisés par une clientèle avide de gastronomie. Comme je le dis souvent, les guides n’ont pas la vocation d’être le moteur d’un restaurant ni de garantir l’augmentation de fréquentations ou du ticket moyen d’un restaurant. Les guides ne sont pas en mesure de s’adapter à une conjoncture – bonne ou mauvaise – qui affecte le secteur de la restauration. De nos jours, c’est une valeur ajoutée ».
A l’heure où nous semblons de plus en plus dépendre des réseaux sociaux, comment gérez-vous votre présence sur ces nouveaux outils de communication ?
« Je ne me prend surtout pas la tête avec les réseaux. Pour vous dire la vérité, je n’en ai de toute façon pas le temps (rires). Chez moi, il n’y a pas de cahier des charges lorsque l’on parle des réseaux sociaux. Avant, il fallait faire croire que votre quotidien ressemblait à votre réalité. Maintenant, c’est tout simplement la réalité ! Mais ma réalité, c’est le terrain, les fourneaux, le restaurant et nos clients. A vrai dire, je ne suis ni doué et ni forcément à l’aise à m’engager plus que ça dans une communication virtuelle ».
Tout en cultivant vos racines méditerranéennes entremêlées d’influences africaines, comment faites-vous évoluer votre cuisine ?
« A travers des réflexions personnelles en prenant le temps de respecter des phases de vie professionnelle. En ce moment, nous effectuons un grand travail autour des Saint-Jacques avec une caramélisation naturelle. Les changements s’effectuent au fil de l’eau et nous sommes en perpétuelle réflexion ».

Avec des menus d’une vingtaine de séquences, comment nourrissez-vous votre créativité ? La salinité graduelle en est-elle l’exemple ?
« Ces deux mots veulent dire beaucoup de choses. A travers diverses textures et séquences, nous souhaitions apporter une salinité naturelle en mode crescendo. Que ce soit avec un encornet ou une huître, nous jouons avec l’intensité de l’iode. Cela permet, à travers les étapes de dégustation, d’avoir un panel salin qui varie en puissance et en subtilité. Nous sommes un restaurant de rythme et notre créativité se doit d’être rythmée par de nouvelles innovations ».
Hormis votre amour inconditionnel pour le basket (AM est un ancien professionnel), quelles sont les activités qui vous permettent de décompresser ?
« J’ai récemment fait beaucoup de préparation physique et mentale pour mieux appréhender mes services. Deux fois trois heures d’intense concentration demandent beaucoup au corps et à l’esprit. De quoi avais-je besoin pour continuer à m’épanouir ? Il fallait que je sois en mesure de prendre plus de plaisir lors d’un service de midi que lors d’une balade à l’extérieur de mon restaurant. Les gens n’ont pas idée de la quantité de détails à mettre en place pour qu’un moment au restaurant se passe sans accroc. Sinon, je continue à faire beaucoup de sport, non plus pour une question de performance mais simplement pour le plaisir ».
Vous avez récemment préparé plus de 1’000 repas par jour lors des Jeux Olympiques de Paris. Que vous a apporté cet événement ?
« Sur le plan professionnel, c’est quelque chose d’unique. Nous avons énormément pris en compte le nutritionnel afin de contribuer à la stimulation de la performance. D’un point de vue humain, il y avait une énergie solaire et bienveillante… même au sein d’un milieu d’extrême compétition. Les jeux para-olympiques m’ont fait prendre conscience que l’humain est beau, avec ou sans handicap. J’ai rencontré des gens d’une gentillesse et d’une générosité incommensurables ».