Le récital du Michelin
Edouard Amoiel
02 octobre 2023
La grande messe du Guide Rouge a eu lieu une nouvelle fois à l’École Hôtelière de Lausanne. Larmes, joies, déceptions, bonheurs, surprises… les montagnes russes du Michelin, c’est maintenant !
Comme chaque année, la tension est palpable dans les couloirs de la prestigieuse École Hôtelière de Lausanne qui reçoit pour la deuxième année consécutive l’élite des toques blanches helvétiques. Certains chefs sont sur leur 31, d’autres en basket, tee-shirt et jean. Comme en cuisine, chacun son style. C’est dans ce climat d’incertitude et de perplexité ambiantes que la fine fleur des cuisiniers suisses vient assister au grand récital annuel du guide rouge. Hormis l’absence notable de son grand patron, Gwendal Poullenec, la cérémonie est en tout point conforme aux pratiques de l’année dernière. Même estrade, même salle et même présentatrice donnant un peu l’impression de déjà-vu.
Au goût du Bib
Après les habituels discours destinés aux sponsors et consorts, ce sont les bib gourmands qui sont (rapidement) mis en avant. C’est avec une grande joie que sont attribuées ces récompenses, rendant hommage aux tables de grande qualité à des prix plus raisonnables que leurs cousins étoilés. Quelle belle surprise pour le restaurant thaïlandais Suahoy de la rue Prévost-Martin qui décroche cette distinction amplement méritée. Croyez-moi, avec cette récompense, ce temple gourmand épicé, qui n’en est qu’à ses balbutiements, laisse présager un bel avenir. Bravo à Sandrine Pally et Yuttakan Pongkunsup, pour leur parcours exemplaire et une cuisine des plus méritantes délicieusement relevée. Même admiration pour le chef Romain Desvenain au Bistrot du Lion d’Or à Carouge qui continue d’écrire une belle histoire gourmande dans son restaurant de la Cité Sarde. Non loin de là, le restaurant Ivy 23 décroche également la même récompense.
Alors que la gastronomie durable continue d’être logiquement mise à l’honneur, neuf nouvelles étoiles vertes sont décernées de Bern à Zurich en passant par Schwyz ou encore Chandolin-près-Savièse. Premier roulement de tambour en anticipation des premiers étoilés. Ils sont 19 nouveaux établissements à décrocher le premier sésame, hissant à 108 le nombre total de restaurants une étoile en Suisse. Un exceptionnel et incontestable palmarès qui confirme le talent de nos cuisiniers et la richesse de notre terroir. Parmi eux, le chef Nicolas Darnauguilhem qui est récompensé pour son exceptionnelle cuisine de cœur et de caractère à La Pinte des Mossettes sur les hauteurs de Cerniat. Il aura fallu être patient mais c’est enfin chose faite ! Après avoir remporté l’année dernière la distinction « étoile verte » pour son incroyable travail de proximité et de saisonnalité, ce talentueux cuisinier remporte une étoile qui lui échappait depuis plusieurs années.
Romands gagnants
A l’approche des deux étoiles, l’atmosphère devient plus électrique et pesante. Mais ce seront les larmes du chef Olivier Jean de l’Atelier Joël Robuchon à l’annonce de l’obtention de sa deuxième étoile qui marqueront sa montée sur l’estrade, larmes que ce chef à la carrure de rugbyman ne peut s’empêcher de retenir, libérant ainsi toute la pression du quotidien et le poids des sacrifices. Fidèle disciple de celui qui a donné son nom à l’Atelier situé au cœur de l’hôtel Woodward, Olivier Jean continue de charmer des clients amateurs d’une cuisine travaillée, gourmande et bourgeoise, qui ensoleille le ciel genevois d’une deuxième étoile.
Le mot qui est sur toutes les lèvres est : « ENFIN » ! Vécu par beaucoup comme une incroyable injustice l’année dernière, le Meilleur Ouvrier de France et chef du Valrose, Benoit Carcenat, décroche enfin son deuxième macaron. Toute son équipe exprime une joie immense lors de l’annonce de cette deuxième étoile tant attendue. Une distinction amplement méritée pour le chef et sa brigade officiant avec brio dans le village de Rougemont. C’est bien plus que la simple récompense d’une brillante association ; c’est une récompense pour une cuisine de haut vol et un service millimétré sous la houlette de Mathieu Quetglas, une victoire décernée à toute une région bien au-delà du village vaudois.
C’est un duo à la ville comme à la scène qui accède au podium des deux étoiles. Sarah Benahmed et Franck Pelux, qui célèbrent cette merveilleuse récompense avec leur fille de quelques mois, sont aux anges après avoir appris la nouvelle à l’École Hôtelière de Lausanne. Un pari qui s’avère être gagnant pour le palace vaudois qui a misé sur le couple en provenance de Strasbourg pour sa Table du Lausanne Palace.
Tristes secousses
Alors que le quatuor triplement étoilé demeure le même que le précédent millésime, c’est une secousse dans le monde feutré des toques blanches suisses qui vient gâcher la fête. Contre toute attente, le chef du Domaine de Châteauvieux, Philippe Chevrier, perd une étoile lors de cette cérémonie. Un coup dur pour ce cuisinier prônant l’excellence gastronomique sur les hauteurs de Satigny depuis plus de 30 ans. Formateur de talents, entrepreneur dans l’âme, cuisinier amoureux d’une vraie cuisine de goût, Philippe Chevrier illumine le ciel helvétique de son talent et de son savoir-faire depuis ses débuts. Un message de soutien pour lui et sa valeureuse équipe qui l’accompagne dans cette aventure gastronomique. Moment difficile également pour la cheffe Marie Robert qui se voit retirer son étoile pour son Café Suisse à Bex.
Chemin du retour
C’est sur le chemin du retour en terre genevoise que l’on peut contempler l’ensoleillement gastronomique d’un pays comme la Suisse. Voir le temps d’une journée, ces hommes et ces femmes nous régaler de leur talent et de leur créativité est un cadeau culinaire de tous les instants. Avec une diversité culturelle et un terroir d’une richesse immense, la Suisse a plus que jamais une carte à jouer sur l’échiquier de la gastronomie mondiale. A nous de la faire rayonner ! Mesdames et Messieurs, merci…