Cuisiniers… sensibilité assumée !

Edouard Amoiel

13 novembre 2024

Le chef du Café des Banques, Yoann Caloué, s’est senti oublié lors de la dernière cérémonie du Guide Michelin. Une blessure pour lui et son équipe mais qui ne fait qu’accentuer le désir créatif du chef.

Comme la grande majorité des cuisiniers, Yoann Caloué, demeure en perpétuelle quête de reconnaissance. De ses pairs sûrement, de ses clients surtout… et des guides peut-être. Loin de lui l’idée de faire une obsession sur ces derniers, néanmoins le patron du fameux Café des Banques est froissé par les pratiques du Guide rouge. Après avoir reçu une lettre de convocation à la dernière cérémonie, qui ressemblait (sans rassembler) davantage à un meeting politique sans fougue ni panache qu’à une vibrante cérémonie, le chef, à sa grande surprise, ne reçoit pas la récompense à laquelle il pouvait s’attendre… en sa qualité « d’invité ». Ce texte n’a pas pour objectif de prendre parti ni de relayer les doléances de cuisiniers anxieux (ce n’est pas le cas de Yoann Caloué) mais plutôt de mettre en avant les sentiments que peuvent ressentir des femmes et des hommes après ce que l’on pourrait considérer comme un affront.

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La Table du Chef au Café des Banques ©Guillaume Cottancin

Questions sans réponse

La question reste ouverte : pourquoi inviter un chef qui a détenu une étoile au Guide Michelin pendant dix ans pour son précédent restaurant si ce n’est pour lui remettre une distinction ? Quelles que soient les « conclusions » des inspecteurs, on part du principe qu’un cuisinier du calibre de Yoann Caloué, habitué des guides, peut penser être convié en vue d’être récompensé. Rappelons le cas de la cheffe Marie Robert qui a perdu son étoile l’année dernière et qui a également été invitée cette année pour… ne rien recevoir non plus. Elle qualifiera son rôle sur son compte Instagram de simple « figurante » tout en s’interrogeant sur le but d’une telle pratique. Les acteurs gastronomiques ne sont-ils pas en droit de recevoir un minimum d’égard ou au moins de considération ? Mot qui semble clairement ne plus faire partie du vocabulaire de cette organisation enfermée dans sa tour d’ivoire.

Le Guide Michelin, qui fait la pluie et le beau temps sur la scène culinaire mondiale depuis bientôt un siècle, ne semble plus vraiment être en adéquation avec le monde actuel où la transparence prévaut dans notre quotidien. Cultivant l’art de l’opacité jusqu’au sommet de sa hiérarchie, le modèle du guide hexagonal est sans cesse critiqué, voir même concurrencé. Mais les dirigeants restent sourds aux appels des cuisiniers désireux de comprendre et d’obtenir de simples réponses. Ces quelques lignes feront peut-être avancer les choses… qui sait, après avoir utilisé certaines de mes photos de restaurant sans m’en demander l’autorisation et pour s’être régulièrement inspiré de mes publications, le Michelin prendra éventuellement la peine de redescendre de son nuage.

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Le Café des Banques ©Guillaume Cottancin

Post Covid

Mais la Bible rouge reste une référence pour beaucoup de cuisiniers en quête du graal. Les explosions de joie lors de l’obtention d’une étoile demeurent un moment fort en émotions pour nombre d’entre eux… comment oublier les larmes de bonheur du chef Olivier Jean de l’Atelier Joël Robuchon à Genève quand il est monté sur l’estrade pour recevoir sa deuxième étoile. Mais le Covid est entre temps passé par-là et les chefs, à juste titre, veulent être considérés ; que ce soit par leur clientèle, leurs collègues et par les institutions qui les « jugent ». Quoi de plus normal en somme…

Il est 12h30 et les clients affluent au Café des Banques, le restaurant élégant du chef Yoann Caloué situé en plein cœur du quartier des Banques à Genève.  Nous prenons place. Le chef est là, barbe taillée, veste d’un blanc immaculé et regard affuté. Sa brigade et son personnel de salle se tiennent prêts. Les Saint-Jacques de Normandie en carpaccio et mayonnaise d’oursin illuminent notre déjeuner par ses contrastes iodés. Le civet de chamois accompagné d’un jus dense, quant à lui, émerveille. Quel régal, quel plaisir gustatif et quelle satisfaction de voir un restaurant complet où les clients enjoués préfèrent le contenu de leur assiette aux éventuelles distinctions affichées sur la devanture du restaurant (pour information, le prix d’un panonceau correspondant aux étoiles obtenues s’élève à Chf 300.-. Il n’y a pas de petit profit !).

Raison d’être

Alors que le chef Damien Germanier annonce officiellement son désir de ne plus figurer dans les guides, la question reste ouverte. Même si nous savons que les étoiles n’appartiennent pas aux chefs mais au Michelin (et que le Guide se laisse même le droit d’y faire figurer un restaurant qui ne souhaite plus en faire partie), les distinctions relèvent d’un processus de reconnaissance indéniable. Un seul souhait… accorder plus d’attention envers les chefs, car sans eux, l’expertise gastronomique et le classement du Guide n’auraient plus de raison d’être.