Brèves de comptoir
Edouard Amoiel
30 janvier 2024
Le comptoir est bien plus qu’un simple zinc et qu’une rangée de tabourets ; c’est le cœur battant d’un restaurant où service, cuisine et convives ne font plus qu’un.
S’attabler à un comptoir n’est pas un acte anodin. Ces places de choix sont devenues des positions stratégiques assumées et convoitées au sein même d’un restaurant. Que ce soit avec ses voisins ou avec le personnel de salle, l’échange social à travers l’interaction humaine a lieu. Même si un bar nous sépare, la distance est rompue. Les acteurs majeurs de la restauration ont bien compris l’engouement sociétal qui se joue avec ces nouvelles compositions architecturales devenues les pièces maîtresses d’un établissement. Du restaurant l’Atelier de Joël Robuchon en passant par l’incontournable Bombar au plus discret comptoir nippon du restaurant Sachi au cœur de l’hôtel Mandarin à Genève, immersion dans le monde merveilleux du comptoir.
Le comptoir de l’Atelier Joël Robuchon ©Edouard Amoiel
De l’isakaya au bar à tapas
Même si une deuxième étoile au guide Michelin scintille encore de tous ses feux au-dessus de l’Atelier de Joël Robuchon au sein de l’hôtel The Woodward à Genève, le chef Olivier Jean est redescendu depuis longtemps de son nuage étoilé. Il sait que les attentes sont grandes et que la pression est toujours plus intense. Ayant participé à l’ouverture de sept ateliers, qui de mieux que le disciple du défunt Joël Robuchon pour parler de celui qui a démocratisé le comptoir. Précurseur en la matière, le cuisinier du siècle révolutionne le monde de la gastronomie en lançant simultanément ses deux premiers Ateliers à Paris et Tokyo en 2003. Inspiré des isakayas japonais et des bars à tapas espagnols, Joël Robuchon marque le tournant d’une époque à laquelle cuisine et salle s’unissent pour la première fois. « Il a voulu mettre les cuisiniers et la cuisine au centre de la salle. Joël Robuchon a réuni deux mondes qui ne se comprenaient pas forcément » se remémore Olivier Jean.
Le succès est retentissant et les curieux font la queue sur le trottoir dans l’espoir de s’attabler dans cet ovni gastronomique. Alors que le concept de la cuisine ouverte offre une visibilité totale, Joël Robuchon apprend, par la force des choses, aux cuisiniers à être plus soignés et à adapter leur méthode de travail à un espace complètement apparent. Il inculque à ses équipes une nouvelle manière de se mouvoir, de se comporter et même de parler. En ce qui concerne les convives, le chef leur fait prendre conscience de la beauté des produits servis et de la valeur du métier de cuisinier. « D’un côté, la transmission au service de l’éducation et de l’autre la transparence au service de la clairvoyance. En valorisant le produit et les hommes, il a créé un ballet culinaire » retrace Olivier Jean encore commis à cette époque. La révolution est en marche.
Le comptoir du Bombar ©PaolaCorsini
Approche théâtrale
Il suffit de prendre la direction de la place des Augustins à Genève un jeudi soir pour comprendre l’engouement suscité par le Bombar. Depuis maintenant cinq ans, Marc Popper et son équipe survolent avec brio et panache les hautes sphères de la gastronomie genevoise. Force est de constater que le comptoir est LA pièce maîtresse. « Le comptoir fut une évidence dès la conception des lieux. Nous l’avons même lié au nom de l’établissement » rappelle Marc Popper. Tout en dégustant la cuisine enivrante de Victor Freiburghaus et Alexandre Jeny, les clients ont une place idéale dans la salle. Comme une tour de contrôle, le passe ouvert de la cuisine du Bombar est dans le prolongement du long comptoir. La conception du décor ressemble à une scène de théâtre où le client devient spectateur et où les collaborateurs sont les principaux acteurs. « Les convives sont au premier rang d’une pièce qui se joue quotidiennement. Mais contrairement au théâtre, certains clients qui ne se connaissent pas au début du repas, partagent souvent une bouteille de vin à la fin de la soirée. L’interaction est cruciale ».
Reprenons la direction de la rive droite où un autre comptoir fait beaucoup parler de lui depuis son ouverture il y a déjà deux ans. Au cœur de l’hôtel Mandarin Oriental Geneva, le restaurant japonais Sachi a défrayé la chronique dès les premiers services. C’est dans cet écrin nippon que trône fièrement un comptoir entièrement dédié aux délices de la gastronomie du pays du soleil levant. « Même si l’ambiance est un peu plus sage que dans d’autres établissements, les convives peuvent admirer le travail des chefs. Avec le menu omakase, ils se laissent guider par les inspirations gastronomiques du moment. C’est un total lâcher prise » raconte Bastien Zimmerman, directeur des lieux.
Le comptoir du restaurant Sachi à l’hôtel Mandarin Oriental Geneva
Connexion humaine
Devant la dextérité de ces maîtres cuisiniers se joue une symphonie gastronomique ouverte au public. Plus que jamais prisé par les passionnés d’art culinaire, le comptoir prend tout son sens lorsque les chefs proposent aux clients admiratifs des sushis fraîchement élaborés pour une dégustation immédiate. « C’est à ce moment que les barrières tombent et que la connexion humaine se fait le mieux » constate le chef et instigateur des lieux Mitsuru Tsukada. Alors que les relations entre personnes se délitent au profit du virtuel, le comptoir est sûrement la plus belle manière de recréer des liens et de renouer avec la magie d’un lieu appelé restaurant.