Le Dorian : une brasserie genevoise

Edouard Amoiel
02 octobre 2024
À la fin de l’été, le chef Florian Le Bouhec ouvre Le Dorian, remettant cet établissement historique de Genève sur le devant de la scène. Les gens se bousculent au portillon, nous avons pris le temps de la dégustation.
Même si l’envie de lui rendre visite était trop forte, il fallait attendre ! Attendre… un mot qui dans la stratosphère genevoise n’existe pas tant la tentation de la nouveauté dans notre ville semble prendre le dessus sur tout discernement humain. Attendre… que les femmes et les hommes qui font partie de la nouvelle aventure de Florian Le Bouhec puissent régler les automatismes d’une profession plus que jamais scrutée par ceux qui prétendent la connaître. Attendre… qu’une carte des mets soit réellement finalisée et que les plats aient eu le temps d’être peaufinés. Attendre… que le buzz se soit propagé pour prendre le contre-pied d’une élite soi-disant bien-pensante mais pas toujours bienveillante. Il était temps de ne plus attendre ! Le Dorian… ouvre-toi !

Institution genevoise
Revenir au Dorian procure un bonheur difficilement descriptible tant l’établissement est cher au cœur des genevois. Ancien fief de la famille Pettina, tombé en désuétude au fil des années avec des successeurs peu enclins à entretenir le mythe culinaire transalpin, cette institution est enfin de retour au sommet de sa popularité gastronomique locale. Le scénario semblait être écrit tout spécialement pour Florian Le Bouhec. Toujours en quête de nouveaux projets, l’ancien chef du Bologne ne pouvait pas manquer une telle opportunité. Mais le Dorian n’est pas un bistrot de quartier habituel. Plus de huit mois de travaux, sous la supervision de l’architecte Youri Kravtchenko, ont été nécessaires jusqu’à la réouverture à la fin du mois d’août. Un défi de taille qu’il fallait avoir le cran de relever !
Fils de (grand) cuisinier, Florian Le Bouhec a la trempe de ces chefs qui cultivent la notion de restauration dans sa plus pure tradition. Son apparence bourrue cache une grande sensibilité qui s’exprime par ses choix culinaires et décoratifs. Des lumières savamment étudiées, un magnifique bar orné de coquillages, des calligraphies sur les murs, une moquette à motifs et une décoration végétale dans la véranda. Au fil du temps, le parcours culinaire genevois de Florian Le Bouhec reste un exemple pour beaucoup… L’Artichaut, Le Café de la Paix, Le Bombar au début, Le Bologne bien sûr, le Bleu Nuit toujours… et le Dorian maintenant.

Pièce maîtresse
Savoir s’entourer ! Un adage que beaucoup de personnes ne semblent pas appliquer. Même si les chemins peuvent parfois prendre des directions opposées, Florian Le Bouhec semble s’être entouré une nouvelle fois de personnes jouant un rôle pivot côté salle comme derrière les fourneaux. Les compliments vont à Guillaume Nonnet qui, après plus de 10 ans de bons et loyaux services à la Brasserie Lipp, officie en salle avec brio. Du côté des fourneaux, nous retrouvons Andrea Branca qui se joint à l’aventure après avoir longtemps travaillé aux côtés de Yoann Caloué.
La carte des mets est un mélange ingénieux de gastronomie française et italienne. Au lieu de s’opposer, les deux influences sont complémentaires. Tandis que les entrées et les pâtes fraîches font la part belle aux traditions transalpines, les plats, quant à eux, honorent la culture hexagonale dans toute sa splendeur. Pour commencer, nous avons le choix entre des bolets cuits et crus qui s’entremêlent, divinement préparés et rehaussés par un jus de viande, et un battuta de veau, accompagné de noisettes torréfiées, auquel s’ajoute une subtile mayonnaise au miso.

France & Italie
En ce début de repas, l’influence de l’Italie persiste avec les paccheri caccio & peppe en mode partage. Hormis une légère sous-cuisson, ce plat romain emblématique fonctionne à merveille. La fricassée de ris de veau et la noisette de chevreuil sont une invitation à la tentation, néanmoins c’est l’aile de raie qui s’impose. Comme s’il avait perdu de sa noblesse la raie avait pratiquement disparu des cartes de restaurant au profit d’autres poissons sans relief ni originalité mais sans doute plus faciles à préparer. Magnifiquement cuite, posée sur des haricots croquants et des salicornes, le chef l’accommode avec un beurre blanc citronné. Magie marine!
Comme une pièce de théâtre, Le Dorian joue avec panache ses premières représentations. Alors que le spectacle vient de débuter, prenez place et profitez d’un moment de joie, de délectation et de partage. Autant de bonnes raisons pour y aller.