Hakuba ou la plénitude nippone

Edouard Amoiel
29 octobre 2024
Découverte du comptoir japonais dédié à l’art culinaire du Pays du Soleil Levant au cœur de l’hôtel Cheval Blanc à Paris. Lorsque le mariage franco-nippon révèle ses plus belles émotions.
Il pleut des cordes en ce début de soirée parisienne. Les parapluies sont de sortie et une multitude de klaxons résonnent dans le ciel de la capitale française en signe de frustration et de contestation à l’encontre des aménagements urbains. Les embouteillages font désormais partie du paysage, la tension environnante est palpable, difficile d’y échapper. Mais dès que nous franchissons le seuil du lobby de l’hôtel Cheval Blanc – palace parisien du groupe de Luxe LVMH – le brouhaha s’estompe et une grande quiétude nous enveloppe. Un contraste saisissant qui nous catapulte vers un autre monde ; un univers si loin de la réalité du quotidien ; un environnement étincelant, attirant, envoûtant, voire intimidant, impressionnant et même perturbant. Il faut prendre un peu de recul, s’acclimater avant de faire le grand saut vers l’inconnu. Le temple gastronomique est tout proche. Nous sommes les passagers chanceux d’une soirée. Les portes boisées du restaurant japonais Hakuba sont entrouvertes. La salle s’offre à nous, le temps s’arrête.

Apaisante sérénité
Le calme et la sérénité sont les maîtres-mots de cet espace anciennement dédié aux petits déjeuners, goûters et autres plaisirs sucrés. Le décor a bien évidemment été repensé. L’apaisement et le réconfort sont de mise, accentués par les paroles douces, envoûtantes et protectrices d’une équipe de salle vouée à la cause du bon et du beau. Nous sommes en pèlerinage, nous partons à la découverte de sensations très éloignées de ce que nous connaissons.
La lumière tamisée apporte une touche d’intimité. Dès les premières minutes, Hakuba remplit son rôle de gardien, nous donnant l’impression de voyager en apesanteur alors que nous sommes bien ancrés sur terre. Les maîtres nippons, sélectionnés avec soin, sont déjà derrière leur comptoir, concentrés, prêts à exercer leur art et nous livrer un récit gastronomique de haut vol. Hakuba représente l’excellence des traditions gastronomiques nipponnes en miroir parfait avec le savoir-faire du luxe à la française. Quel spectacle !

Incursion française
Le chef Takuya Watanabe officie en maître absolu dans cet espace où une vingtaine de places sont réparties sur trois comptoirs. Il est une référence en matière de cuisine japonaise à son plus haut niveau. Rien n’est laissé au hasard et au vu de l’environnement le hasard n’existe pas. Particularité singulière ? La cuisine française vient faire une subtile incursion tout au long du menu « omakase » proposé par les chefs.
Sauces, cuissons, assaisonnements, associations, conservations…. tout s’entremêle à l’unisson avecl’œuvre de celui qui, un étage plus haut, brille au firmament de la cuisine française avec son restaurant Plénitude triplement étoilé au Guide Michelin : le chef Arnaud Donckele qui, toujours avec rigueur, humilité et discrétion, a participé à la création d’Hakuba. Il y fera même une apparition et demeure le digne trait d’union entre deux mondes que tout réunit.
Flan traditionnel
Dès la première bouchée, nous sommes séduits par un navet kabu, gelée de tosazu sur une tuile de sarrasin. Tout aussi savoureuse, la deuxième bouchée révèle le savoir-faire du chef avec le chawanmuchi, flan traditionnel japonais surmonté d’œufs de brochet fumés. La ballade nipponne est enclenchée avec le thon rouge à peine mariné, coupé aux couteaux sous nos yeux, accompagné de pois gourmands garnis de shiso, d’haricots verts et d’une sauce mettant en relief un vinaigre de riz japonais légèrement sucré. Puis l’intensité de la lumière diminue, comme pour renforcer l’intimité d’un moment unique. La lisette de Méditerranée, légèrement fumée, entre en scène sur un consommé d’algues rehaussé de tosazu aromatisé avec le katsuobushi ou bonite séchée. Divin !

Un spectacle saisissant nous attend avec les filets de rouget marinés au koji pendant plus de six heures, grillés au charbon de bois japonais puis posés dans une feuille de shiso croustillante. Il nous est recommandé de rajouter quelques gouttes de jus de citron sur les aubergines au miso blanc et leurs feuilles d’amarante. S’enchaîne une sélection de sushis dans les règles de l’art préparés avec les plus beaux poissons.
En apesanteur
Le dessert exceptionnel autour du riz blanc et du riz noir confectionné par le pâtissier lumineux Maxime Frédéric nous permet peu à peu de reprendre nos esprits. Par son exactitude et sa douceur en matière de service de salle, par la dextérité exemplaire des acteurs jouant une pièce de théâtre derrière leur comptoir, par l’union culinaire de deux mondes faits pour s’entendre… Hakbua nous ramène au plus près de l’excellence humaine, celle qui nous touche, celle qui fait foi, celle qui inspire, celle qui bouleverse, celle qui nous élève. J’espère que les mots seront à la hauteur…