Chef de Gare

Edouard Amoiel

12 octobre 2021

D’une grande discrétion, Andres Arocena, chef exécutif des restaurants Gigi et La Micheline situés au-dessus de la gare du CEVA des Eaux-Vives, cuisine à toute vapeur.

Pour ceux qui s’en souviennent, l’ancienne version de la gare des Eaux-Vives à Genève abritait déjà un restaurant gastronomique de haut vol. En 2000, un certain Serge Labrosse posait ses couteaux au Buffet de la Gare qui fit rapidement fureur à l’époque. Deux décennies plus tard, c’est le talentueux Andres Arocena qui prend possession des fourneaux des restaurants Gigi et La Micheline. Situés au-dessus de la sortie de métro flambant neuve de la même gare, l’un est une trattoria italienne et l’autre un élégant bistrot moderne. Même si le paysage environnant a changé au fil du temps, découvrir les créations de cet ingénieux cuisinier mérite un arrêt en gare. 

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Vinaigrette

C’est la confection de petits sablés en compagnie de sa grand-mère qui replonge le chef dans ses souvenirs gustatifs les plus profonds. A l’âge de 7 ans, il met un point d’honneur à préparer la vinaigrette pour toute la famille lors des repas dominicaux. « Une sauce quelle qu’elle soit permet des combinaisons infinies et laisse libre cours à notre imagination ». Ses influences culinaires sont basques et espagnoles, liées à ses origines. Natif du Venezuela, le jeune Andres passe la majorité de son enfance entre l’Amérique du Sud et la côte atlantique. Très tôt, il comprend que son avenir se fera au milieu des casseroles, des couteaux et des toques.

Le jeune apprenti décroche un stage dans le restaurant du légendaire de Martin Berasategui, triplement étoilé au guide Michelin et chef reconnu dans le monde entier. Un honneur pour Andres qui est loin d’imaginer la difficulté du métier. « Lorsque je suis arrivé j’étais un gamin. Au milieu d’une brigade de 60 cuisiniers, je ne connaissais rien et j’avais peur de tout » se remémore-t-il. Pas le choix, il doit se faire une place ! Plus motivé que jamais et conscient de la chance qu’il a de travailler dans un tel établissement, il arrive le premier en cuisine, reste les après-midis afin de se perfectionner et quitte en dernier.

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Basque connection

Le tournant de sa carrière se fera en 2010 chez la famille Arzak à quelques encablures de là. Autre maison, autre privilège puisque Juan Mari et sa fille Elena sont eux aussi au sommet de la gastronomie basque et mondiale. Cerise sur le gâteau, Andres a le privilège de passer par le laboratoire de recherches culinaires du restaurant. Un honneur réservé à seulement un cuisinier par année. Les objectifs de ce lieu sont l’innovation et la création. « Le défi était journalier. Pourquoi ne pas associer une laitue braisée à du chocolat noir 80% ? Dans cet environnement, il n’y a aucune limite à la créativité. L’adulte se met des barrières tout seul, il suffit de penser comme un enfant ». Après un an, il quitte la région espagnole pour les rives de la Méditerranée chez le chef Gerald Passedat avant de partir à Londres pour trois ans où il obtient le poste de sous-chef au restaurant Ametsa, toujours supervisé par la famille Arzak. En six mois derrière le passe, il reçoit une étoile au Guide Michelin.

Cuisine de voyage

Un coup de foudre amoureux l’attire en Suisse. C’est au Lausanne Palace chez Edgar Bovier qu’il va poser ses couteaux de cuisine durant quatre ans. « C’est grâce à la confiance d’Edgar Bovier que j’ai franchi une étape. Il m’a tout donné pour progresser dans la vie ». Andres Arocena est prêt à passer à la vitesse supérieure et avoir seul la charge d’une brigade de cuisiniers. Yves Grange et sa fille Camille, fraîchement diplômée de l’École Hôtelière de Lausanne, ainsi que Nicolas Gonet lui donnent sa chance et lui proposent de prendre en charge le projet des restaurants de la Gare des Eaux-Vives. Le défi est de taille pour le trentenaire et une page se dessine autour de deux concepts distincts. La première arcade sera dédiée à la cuisine transalpine et la deuxième autour de l’univers bistrotier.

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Bel avenir

Tout en espérant la sortie de la crise sanitaire, Andres s’est très vite émancipé avec une cuisine de voyage aux influences basques. A l’image de calamars farcis et de leur sauce onctueuse à l’encre de seiche rehaussée d’un coulis de poivron, le chef met la barre haute. C’est avec l’œuf croustillant à l’extérieur et confit à l’intérieur que le charme opère. Accompagnée de cèpes, nappée d’un jus de volaille à peine corsé, agrémentée de lamelles de jambon ibérique, l’entrée est d’une gourmandise élégante. Nacré à cœur comme il se doit, le pavé de merlu et ses patatas bravas encoffrant un sabayon légèrement aillé est un subtil hommage marin. La poitrine de porc laquée à la sauce Hoisin que l’on peut tremper dans une mousse de maïs siphonnée au safran est d’une gourmandise extrême.

Avec une cuisine techniquement très aboutie, le charme culinaire d’Andres Arocena opère. Alors que son triangle créatif évolue autour du produit, du goût et de l’esthétisme du plat, La Micheline a un bel avenir devant elle. Terminus, tout le monde déguste !