Le Roi lièvre

Edouard Amoiel

01 décembre 2021

Le lièvre à la Royale est un plat mythique de la saison automnale. Le cuisiner s’avère être tout un art. Découverte…

Selon les dires, il existerait plusieurs recettes de ce fameux plat emblématique de la cuisine hexagonale. Celles d’Aristide Couteaux, d’Henri Babinski et de Marie-Antoine Carême. Ces noms ne vous disent peut-être rien et pourtant, l’un est journaliste et homme politique, l’autre ingénieur et écrivain et le dernier chef de cuisine. Leur dénominateur commun ? Tous trois de fins gastronomes amateurs du lièvre à la Royale. Sa laborieuse préparation requiert un certain savoir-faire, une grande technicité et relève de l’art culinaire. Du Domaine de Châteauvieux au restaurant Le Bayview, en passant par le Lexique et Yeast, succombons à la tentation et ponctuons l’aventure de dégustations gastronomiques. 

© Daniele D’Angelo

Intervention chirurgicale

Sur les hauteurs de Satigny, une grouillante fourmilière de toques blanches s’active dans les cuisines du Domaine de Châteauvieux. A son bord, derrière les fourneaux depuis plus de 20 ans, l’homme de confiance de Philippe Chevrier, Damien Coche. Pour ce dernier, impossible de débuter l’hiver sans proposer à la carte le fameux lièvre à la Royale. C’est tout un travail d’orfèvre qui s’annonce pour la préparation de cet hymne à la gourmandise. Attention, âmes sensibles – préférant le chou kale et l’avocado toast – s’abstenir ! Le cuisinier commence par désosser le lièvre et mettre de côté le foie et le cœur qui vont être mixés et serviront pour la sauce. Puis il met le lièvre à mariner dans du vin et une garniture aromatique pendant 24 heures. « Le vin apporte un goût particulier et favorise l’attendrissement de la chair » rappelle le cuisinier.

Débute alors la confection de la farce composée de porc, de foie gras, de truffe, de persil et de mie de pain qui vient garnir l’intérieur du lièvre dont on rabat les extrémités pour les brider. On enroule ensuite le lièvre dans une crépine qui lui sert de corset protecteur avant de le mettre à sécher pendant 12 heures. Il est ensuite rôti sur toutes ses faces et cuit langoureusement pendant 36 heures à 86 degrés dans la marinade mélangée avec un fond de gibier. Une fois la cuisson terminée, Damien Coche récupère le jus et fait une liaison avec du foie gras, du jus de truffe et rajoute au dernier moment le sang de l’animal, de la crème et quelques carrés de chocolat. Côté salle, c’est l’incontournable maître d’hôtel Esteban Valle qui sert ce chef d’œuvre sur guéridon devant les convives ébahis par sa dextérité.

© Bayview

Inédite association

Direction les bords du Léman où le chef David Devel prépare lui aussi ce divin cadeau gourmand. C’est au restaurant Le Bayview de l’hôtel Président Wilson que cet ancien fidèle de Guy Savoy a posé ses couteaux pour rejoindre la brigade de Michel Roth. L’équipe en place se consacre à la préparation de la recette toujours avec le même engouement. Le lièvre est confit au four durant 10 heures dans un fond de gibier, puis servi avec un mélange de champignons, foie gras poêlé et pâtes à la truffe, nappé d’une sauce liée avec le foie de l’animal et du foie gras. Le sommelier Geoffrey Bentrari propose d’accompagner le plat d’un sauternes du château Barsac 2006. L’accord est surprenant mais fonctionne très bien grâce à la balance entre la saveur douce du vin botrytisé et celle plus prononcée des abats.

Influence bistrot

Mais ce plat traditionnel n’est pas exclusivement réservé à la haute gastronomie et figure régulièrement sur les cartes des bistrots. C’est derrière la Gare Cornavin de Genève que nous nous dirigeons où le restaurant le Lexique continue de faire la part belle aux classiques du monde bistrotier. Difficile de ne pas succomber à une terrine et galantine de marcassin et chevreuil, à une tourte de perdreaux aux choux et foie gras et à l’incontournable selle de chevreuil. Cyrille Montanier a du métier et le lièvre à la Royale fait lui aussi partie de ses recettes d’automne.

© Edouard Amoiel

Côté Carouge, le jeune chef, Freddy Garanjou, derrière les fourneaux du restaurant Yeast, est heureux de constater que ces plats d’époque, délaissés au fil du temps, retrouvent à juste titre leurs lettres de noblesse. Il régale ses convives avec un magnifique lièvre à la Royale escorté de gnocchis faits maison et d’une garniture de champignons. « Rien que par la technicité requise pour l’élaborer, il mérite sa place sur nos tables. Un seul détail peut venir tout faire échouer. C’est finalement aussi tout ce qui fait le charme de ce plat ».  Associé à un superbe pinot nero élaboré par le vigneron Jean-Yves Peron et suggéré par le sommelier Aymeric Velluz, l’accord fonctionne exceptionnellement bien.


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